Tel un prophète de Dieu, Seth Kikuni avait pourtant prévenu sur ce qu’allait être le sort de l’aviation congolaise dans un avenir très proche. Fin analyste des questions économiques et politiques, en observateur libre mais averti, ce dernier avait tiré la sonnette d’alarme alors que le régime Tshisekedi prenait des décisions précipitées et peu mûries sur le transport aérien en République démocratique du Congo.
On se souvient qu’en 2021, comme dans ses habitudes, le pouvoir de Kinshasa a annoncé de manière unilatérale que le prix de l’avion avait baissé de façon vertigineuse. Une décision que des analystes avaient vite qualifié de populiste, car ne reposant sur aucune base solide. À ce temps-là, Seth Kikuni avait partagé ses vives inquiétudes sur le danger que le Congo courait.
« La décision prise là, il faut comprendre que nous sommes presque à 2 ans des élections. Le régime a compris qu’il ne saura résoudre beaucoup de problèmes, il commence à prendre des raccourcis. Il commence à proposer des formules qui sont suicidaires pour notre pays. Par exemple, cette histoire des avions, est-ce qu’elle est vraiment pour le social du pays? Parce que si vous voyez très bien, c’est à peine 0,3% des Congolais qui voyagent par an sur 100 millions d’habitants », rappelait-il alors.
Puis, en tant qu’opérateur économique qui s’y connait, Kikuni avait bien prévenu pour ceux qui voulaient l’entendre que la mesure du gouvernement congolais était imprudente. Il avait d’ailleurs encouragé les Congolais à ne pas sautiller de joie, une joie qui allait être de courte durée.
A l’en croire, quelques temps après, l’aviation allait tomber en faillite et le prix pour le transport aérien, disait-il alors, allait doubler, tripler ou même quadrupler.
« On baisse les prix sans contrepartie. On dit que les compagnies ont baissé le prix pour que l’Etat puisse couvrir ce manque là. Déjà, on sait que l’État ne paie pas ses dettes, beaucoup d’opérateurs se plaignent. Le 2e problème, c’est la raison avancée qui ne tient pas debout. On dit que cela va redynamiser l’économie. Mais comment », s’interrogeait-il, en proposant en même temps des solutions idoines.
« Parce que si tu veux réellement redynamiser l’économie, tu dois construire des routes, rendre le fleuve navigable ou alors travailler sur la voie ferroviaire. Troisièmement, il faut comprendre comment se fait la concurrence si on inonde le marché. Déjà, l’État lui-même n’a pas d’avions. Il est en train de faire des impositions aux privés de sorte que si l’État ne paie pas ses dettes, aujourd’hui nous voyagerons à 100$ mais demain, nous n’aurons plus aucun avion dans les airs. E, la situation sera plus terrible que celle que nous vivons aujourd’hui. Donc, l’État devrait passer un mécanisme : acheter ses propres avions ou faire des contrats avec une entreprise où il aura des parts pour qu’ils gèrent ensemble. Mais, on ne peut pas imposer, car cela a des conséquences qui sont telles que, on se réjouit aujourd’hui mais demain, on aura des problèmes plus sérieux », prévenait le jeune opérateur économique.
Deux ans seulement après, Seth Kikuni a raison. Totalement raison, pour ainsi dire. Congo Airways, la seule aviation nationale, est maintenant clouée au sol. Et peut-être pour beaucoup de temps. La Compagnie africaine d’aviation (CAA) qui détient aujourd’hui le monopole des opérations aériennes ne parvient pas à répondre efficacement à la forte demande en raison de sa flotte insuffisante et la multiplication des rotations.
Voyager en avion pour les Congolais redevient ainsi un luxe. Pour relier Kinshasa ou encore les provinces, des citoyens sont contraints de transiter par Addis-Abeba (Ethiopie), Nairobi (Kenya), Kigali (Rwanda) ou encore Brazza. La situation est devenue beaucoup plus catastrophique et commence à faire des victimes. Le jeudi 14 septembre dernier, par exemple, une femme a perdu la vie par AVC dans les enceintes de l’aéroport de Kinshasa-N’djili pour avoir raté un vol pour Lubumbashi, vol qu’elle venait de rater à 2 autres reprises.
De ces jours, Seth Kikuni est-il donc un prophète qui n’avait pas été écouté par le pays? En tout cas, c’est le moins qu’on puisse dire.
Charles Mapinduzi