Comment le M23, groupe armé pro-rwandais battu en 2013 par Joseph Kabila, a-t-il refait surface entre 2021 et 2022, soit 8 ans après? C’est en effet la question qui revient constamment sur toutes les lèvres.
Mais, il est établi qu’après sa prise du pouvoir, dans sa démarche de se rapprocher de Kigali, Félix Tshisekedi était allé jusqu’à réveiller les chiens endormis. Dès 2019, il a accepté de recevoir d’ex-responsables de cette rébellion qui n’existait plus, afin de prendre langue avec eux.
Ceux-ci ont alors passé 14 mois à Kinshasa, logés et nourris à l’hôtel Fleuve Congo où de nouveaux compromis avec le nouveau régime ont été pris. C’est d’ailleurs pour cette raison que le M23 s’est aujourd’hui renommé Alliance fleuve Congo (AFC), comme pour faire allusion aux accords pris avec les autorités congolaises.
Cependant, n’étant pas en mesure de répondre à tous leurs cahiers de charge, le chef de l’Etat congolais s’était aussitôt fait des ennemis que lui-même était pourtant parti ressuscités alors qu’ils étaient en exil en Ouganda et au Rwanda.
Mécontents de l’attitude du gouvernement de la République, le M23 poussé par Kagame ont ainsi choisi de lancer une nouvelle agression contre le Congo. Mais avant cela, certains compromis avaient été honorés par Félix Tshisekedi, notamment la libération d’ex-M23 qui avaient été arrêtés par Joseph Kabila, condamnés à perpétuité puis enfermés à la prison militaire de Ndolo, à Kinshasa.
L’un d’entre eux est Bernard Byamungu Maheshe, présenté aujourd’hui comme le commandant second de la rébellion après Sultani Makenga. L’histoirien Benjamin Babunga Watuna livre et retrace ici un témoignage sur ce qu’il sait de la dissidence de cet officier libéré par le régime de Kinshasa mais qui a de nouveau rejoint le maquis.
En 2010-2011, je fais partie des responsables d’une organisation humanitaire internationale qui exécute un projet de l’USAID (Gouvernement américain) dans la région Uvira-Fizi. Basé à Uvira, je fais régulièrement la navette Uvira-Baraka-Fizi et c’est là que je vois pour la première fois Bernard BYAMUNGU (alors Colonel). Il est mon voisin, sur l’Avenue des Pionniers. Très respecté par tous ses voisins, il mène une vie normale, aux côtés de son épouse et de ses enfants. Ses éléments l’appellent « Tiger One ». Il est Commandant du 9è Secteur des FARDC, qui couvre une bonne partie du territoire d’Uvira.
En avril 2012. J’ai failli laisser ma peau à Baraka (Fizi). Nombreux de nos staff originaires de Masisi et Rutshuru, ayant eu connaissance de ce qui se préparait (via leurs frères qui faisaient partie des 9è et 10è Secteurs FARDC, couvrant Uvira et Fizi), me conseillent de quitter Baraka immédiatement. Avec mon Directeur, nous prenons la décision de faire déplacer aussi l’essentiel des véhicules du projet vers Uvira. Un impressionnant convoi d’environ 15 Toyota Land Cruiser ne peut passer inaperçu. Dès le lendemain de notre départ de Baraka, les affrontement éclatent simultanément à Uvira et à Baraka, entre les éléments FARDC et les dissidents (ces mutins qui, trois semaines plus tard, se donneront rendez-vous au Nord-Kivu pour lancer le M23). A Baraka, la population menace de mettre le feu à nos bureaux. « Comment ont-ils su que quelque chose se préparait? », lancent-ils. Je passerai un bon moment à Uvira, sans retourner à Baraka.
Ayant pris connaissance de la mutinerie des troupes à Uvira et à Baraka, le Général Delphin Kahimbi quitte Kinshasa en toute hâte. Direction Bukavu et Uvira. Dans la foulée, décision est prise par la hiérarchie des FARDC de déployer le Lieutenant-Colonel Mamadou Ndala à Uvira. Il est, à ce moment-là, en poste à Kazimia (territoire de Fizi), où j’ai eu l’occasion de le croiser lors de mes missions terrain en début 2010 dans cette partie du territoire (dans ces coins reculés du pays, passer présenter les civilités aux autorités politico-militaires du coin est un must). L’arrivée du Lieutenant-Colonel Mamadou Ndala et de son 42è Bataillon à Uvira va changer la donne. Après deux jours de combats, Bernard Byamungu et d’autres dissidents décident de capituler. Ils prennent alors la décision d’arpenter les montagnes surplombant Uvira, dans le but de ressortir vers Bunyakiri, et de là, poursuivre leur chemin vers le Nord-Kivu. La prise d’Uvira et Baraka ayant échoué, c’est au Nord-Kivu que les mutins vont devoir lancer leur mouvement. A ce moment-là, le Colonel Makenga, numéro 2 de l’Opération « Amani Leo » basé à Bukavu, n’est pas encore inquiété. C’est lors de la traque du Colonel Byamungu et Cie et les dénonciations qui s’en suivront que Makenga quittera Bukavu en catimini et rejoindra ses amis à Masisi.
Dès son arrivée à Uvira, le Lieutenant-Colonel Mamadou Ndala déploie ses hommes dans les moyens plateaux d’Uvira poursuivre les dissidents… Byamungu à leur tête. Des combats violents vont avoir lieu dans les localités de Lusololo, Kirungu et Kitundu. Le 18 avril 2012, à Uvira, je reviens de ma pause-déjeuner lorsque je constate un attroupement inhabituel devant le bureau de l’Auditorat Militaire d’Uvira. Tout le voisinage est quadrillé par les hommes de Mamadou Ndala que je dois m’expliquer pour passer et accéder à mon bureau. J’apprendrai de mon chauffeur que le Colonel Bernard Byamungu, ainsi que le Colonel Samuel Nsabimana Mwendangabo ont été arrêtés. Ce dernier était Commandant du 1005è Régiment Infanterie basé à Baraka, lui qui avait soufflé à certains de nos staff l’idée de quitter rapidement Baraka. Tous les prisonniers seront d’abord acheminés à Bukavu, avant qu’ils ne soient ramenés à Uvira où se tiendra leur procès.
Le 8 mai 2012, une Cour militaire spéciale est mise en place. Des magistrats militaires arrivés de Bukavu et de Kinshasa vont juger les dissidents. Devant l’Auditorat militaire d’Uvira se tient un procès surmédiatisé. Un imposant matériel de sonorisation y est déployé, que je peux suivre, de mon bureau, quelques temps forts du procès. Le 30 mai 2012, après un bref passage au bureau, je vais également à l’Auditorat militaire d’Uvira où est attendu le prononcé du jugement. Il intervient vers 9h50 : 11 des 16 officiers jugés sont reconnus coupables de participation à un mouvement insurrectionnel et de désertion, mais aussi de sabotage et de l’incitation à une entreprise de démoralisation de l’armée. Les peines prononcées sont sévères : la perpétuité pour les 8 meneurs du mouvement, parmi lesquels le Colonel Bernard Byamungu (9è Secteur Uvira), le Colonel Edmond Saddam Ringo (10è Secteur opérationnel, basé à Fizi, mais qui était en fuite lors du procès), le Colonel Samuel Nsabimana Mwendagabo (1005è Régiment Infanterie, basé à Baraka/Fizi) et le Colonel Josué Biyoyo Karanga (1003è Régiment Infanteir, basé à Kalehe). Tous furent, après le prononcé du verdict, achem inés à Bukavu, d’être transférés à Kinshasa, à la prison militaire de Ndolo. Leurs frères d’armes lanceront le M23 en mai 2012 et occuperont Goma en novembre de la même année, pendant qu’eux seront en prison, à Kinshasa.
Le 11 février 2014, le président Joseph Kabila promulgue la loi portant amnistie pour faits insurrectionnels, faits de guerre et infractions politiques couvrant la période de février 2006 à décembre 2013, mais établit une liste d’une centaine de membres du M23 non éligibles, dont le chef militaire du mouvement (Sultani Makenga) et d’autres hauts gradés, notamment ceux incarcérés à Ndolo avec le Colonel Bernard Byamungu, et ceux qui avaient trouvé refuge en Ouganda et au Rwanda. Joseph Kabila quittera le pouvoir en janvier 2019, laissant ce groupe des dissidents en prison, à Ndolo (Kinshasa).
Le 28 mars 2019, soit deux mois après sa prise de pouvoir, le Président Félix Tshisekedi procède à la libération des ex-Officiers FARDC qui étaient détenus à Ndolo (Kinshasa), « au nom de la paix et de la réconciliation ». Les ex-Colonels Bernard Byamungu, Josué Biyoyo et Samuel Nsabimana sortent alors de prison, après 7 ans passés derrière les barreaux.
En septembre 2022, soit 3 ans après sa libération (3 ans d’interdiction de quitter Kinshasa), Bernard Byamungu parvient à quitter la capitale. Par quelle voie? On ne le saura jamais. Octobre 2022, on le voit alors dans une vidéo postée par le M23, où il est accueilli avec d’autres militaires à Bunagana. Quelques semaines après, Bernard Byamungu est promu au grade de Général et devient Commandant Adjoint des opérations et du renseignement du M23.
Charles Mapinduzi