Invraisemblable que cela puisse paraître, le continent africain est en train de faire progressivement marche en arrière et d’être divisé comme jadis en deux blocs comme cela fut le cas dans la période post-guerre mondiale.
Le ton a été donné dans la région du Sahel où le modèle du Mali, du Burkina Faso et du Niger se conjugue désormais avec des bouleversements inattendus d’alliances stratégiques passant du camp de l’ex-colonisateur et donc de l’Otan sous l’influence russe qui a dépêché les forces Wagner et surtout positionné des satellites qui empêchent les satellites américains de voir ce qui se passe dans le Sahel. La Russie a aidé ses partenaires africains à verrouiller leur espace aérien et à rendre aveugles et inefficaces les dispositifs satellitaires américains dans la sous-région. De toute évidence, cette situation n’est pas à négliger car sans les renseignements, la première puissance mondiale perd automatiquement son hégémonie dans une bonne partie de l’Afrique.
C’est dans ce contexte de bataille hégémonique en Afrique qu’il faut comprendre la portée de la récente tournée d’Antony Blinken, le Secrétaire d’Etat américain, à travers plusieurs pays africains pour contrer cette montée en puissance de la Russie en Afrique. Le plan américain consiste à forger des alliances stratégiques et militaires avec des pays-clé pour contrer cette influence russe.
En observant bien les pays africains visités tout récemment par Blinken, on est loin de croire aux bonnes intentions du secrétaire d’État américain qui déclare être sur tous les fronts pour « renforcer leurs sociétés et lutter contre l’expansion de la menace terroriste que l’on observe au Sahel ». En réalité sa stratégie consiste à ériger un rideau de fer autour de la zone d’influence russe avec des partenariats clé du Golfe de Guinée tel le Cap Vert pour contrôler le trafic maritime dans l’océan atlantique ou encore avec la Côte-d’Ivoire, le Nigeria, le Ghana, le Togo etc. pour limiter sinon contenir l’extension de l’influence russe dans les trois pays.
Et pour ce faire, le gouvernement statunisien n’y va pas de main morte. Il a mis du paquet en dollar : « Nous mettons le paquet sur l’Afrique. Car Notre avenir est lié, notre prospérité est liée, et les voix venues d’Afrique modèlent, animent et mènent de plus en plus le débat dans le monde », a dit Blinken au début de ses entretiens au Cap-Vert.
Sans qu’on ne le voie venir, la fracture de l’Afrique entre deux camps (celui des alliés américains et celui pro-russe) devient une réalité irréfutable. Et dans un tel contexte géopolitique, toute position de neutralité est soupçonnée par les Yankee d’être une connivence avec leur ennemi dans cette logique « quiconque n’est pas avec nous est contre nous ». Tout non alignement paraît à leurs yeux comme un signe évident de traîtrise. Une logique du reste manichéenne qui force tous les pays africains à renoncer à leur souveraineté pour se ranger dans un camp contre un autre.
Il est intéressant de braquer les phares sur la situation atypique de la RDC dans un tel contexte. Que représente la RDC dans la tête des yankees? Qu’en pensent-ils de ce pays, de son peuple et de ses terres? Dans quel camp veulent-ils le voir se tenir et sous quelles conditions ?
Depuis la conférence de Berlin, la position américaine et celle de ses alliés occidentaux sur le Congo reste la même : c’est la « Terra Nullius », c’est-à-dire le territoire de personnes, surtout pas des congolais. Dans leur tête, le Congo leur appartient, c’est leur propriété qu’ils avaient qualifiée faussement un certain 26 fevrier 1885 d’« État indépendant du Congo ». Indépendant à ne pas confondre avec une quelconque souveraineté. Trois fois non!!! Indépendant puisque : une terre sans propriétaire spécifique car appartenant à tous les puissants ayant participé à la conférence de Berlin.
Depuis l’instauration de la politique unilatérale américaine dans le monde en 1990, les yankees se considèrent comme le véritable propriétaire du Congo, le Maitre absolu de ce vaste territoire dont ils sous-traitent l’exploitation via le Rwanda et les bras armés tels les M23 et les ADF. C’est principalement pour cette raison que Blinken traite la question du Congo avec différents pays africains sans jamais daigner tenir compte de l’avis ni des ses officiels ni de son peuple.
En observant la tournée de Blinken en Angola et de ses missi dominici en Afrique du Sud, en Namibie, au Zimbabwe et en Tanzanie pour stopper le soutien de la SADC à la RDC dans sa défense contre les attaques rwandaises, le Congo sans être pourtant pro-russe semble subir le même traitement que les trois pays du Sahel: il voit s’ériger tout autour de ses frontières, un rideau de fer pour son asphyxie sécuritaire et pour une redistribution de sss ressources.
Ceci dit, ce riche et vaste pays ne pourra jamais continuer croire naviguer librement entre deux camps diamétralement opposés et espérer tirer son épingle du jeu politique. « Nul ne peut pas servir deux maîtres » disent Écritures. Car, poursuit-il, « ou il haïra l’un, et aimera l’autre; ou il s’attachera à l’un, et méprisera l’autre. » Mutatis mutando, pour appliquer être sagesse biblique sur la situation de la RDC, demandons-nous ce pays a-t-il même la liberté souveraine d’aimer ou d’être aimé, car on le voit bien : il est haï de tous, et même toujours déjà haï principalement de ceux qu’il croyait être ses fidèles partenaires.
Sans clarification de son nouveau positionnement diplomatique et de sa nouvelle politique de défense dans cette nouvelle fracture géopolitique de l’Afrique en train de naître sous nos yeux, le Congo-Kinshasa ira inévitablement de mal en pis et mourra d’hibernation dans cette impitoyable nouvelle guerre froide qui vient de commencer.
La RD Congo est obligée de définir sa ligne stratégique, en tant qu’Etat, en déclinant clairement dans cet environnement international, qui sont ses alliés inconditionnels, ponctuels, circonstanciels et ceux qui ne le sont aucunement.
On l’a vu avec le Mali et le Burkina Faso, la redéfinition claire et nette de leur nouvelle doctrine militaire et diplomatique leur a attiré la crédibilité internationale et l’alliance avec d’autres États jugés plus capables de les aider à défendre les intérêts vitaux de leurs états respectifs. Dans cette même logique, c’est principalement la manière dont la RDC va se repositionner et retourner les alliances tout en restant sérieux sur le plan interne de sa gouvernance qui va implémenter sa puissance et son repositionnement sur la scène internationale.
Gédéon ATIBU